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PAS QUESTION DE STRYCHNINE, BIEN SÛR

— Où l’avez-vous découverte ? demandai-je, dévoré de curiosité.

— Dans la corbeille à papier. L’écriture ne vous est pas inconnue, sans doute.

— Bien sûr que non. C’est celle de Mrs Inglethorp. Mais qu’est-ce que cela signifie ?

— Impossible de le dire pour le moment, fit Poirot avec un haussement d’épaules. Mais c’est une trouvaille intéressante.

Une explication, assez osée je l’avoue, me vint à l’esprit. Et si Mrs Inglethorp avait souffert de dérangement mental ? Elle aurait pu croire à ces sornettes de possession par le démon. Dans une telle hypothèse, le suicide ne devenait-il pas plausible ?

Je m’apprêtais à soumettre à Poirot cette théorie quand celui-ci me coupa dans mon élan :

— Venez, dit-il. Allons examiner ces tasses à café.

— Voyons, mon cher Poirot ! À quoi bon, maintenant que nous savons ce qu’il en est à propos du cacao ?

— Oh là là ! Encore cette histoire de cacao ! s’exclama Poirot avec quelque désinvolture. Apparemment très amusé par ma remarque, il eut un petit rire et leva les bras au ciel dans une parodie de désespoir qui me sembla d’un extrême mauvais goût.

— De surcroît, ajoutai-je avec une froideur croissante, n’oubliez pas que Mrs Inglethorp a monté elle-même son café dans sa chambre. J’imagine donc mal ce que vous pensez découvrir ; à moins que vous n’espériez trouver un sachet de strychnine sur le plateau.

Poirot reprit aussitôt son sérieux.

— Allons, allons, mon bon ami ! dit-il en me prenant le bras. Ne prenez pas la mouche ! Permettez-moi de m’intéresser à mes histoires de tasses à café, et je respecterai votre fascination pour les tasses de cacao. N’est-ce pas là une mesure équitable ?

Il était si drôle que je ne pus m’empêcher de rire, et nous entrâmes de concert dans le salon. Les tasses étaient restées sur le plateau, telles que nous les avions laissées la veille.

Poirot me demanda un récit détaillé du moment où nous avions pris le café. Il m’écouta avec une grande concentration et vérifia la position de chaque tasse.

— Mrs Cavendish se tenait donc près du plateau et c’est elle qui a servi le café. Bien. Ensuite elle s’est approchée de la fenêtre, où vous étiez assis avec Miss Cynthia. C’est bien cela ? Oui, voici vos trois tasses… Quant à celle que je vois sur la cheminée, à moitié vide, ce ne peut être que celle de Mr Lawrence. Et celle-ci, sur le plateau ?

— C’est la tasse de John. Je l’ai vu la poser là.

— Parfait. Cela nous fait donc cinq tasses. Mais où est donc celle de Mr Inglethorp ?

— Il ne boit pas de café.

— Alors, le compte est bon. Un instant, mon bon ami.

Avec un soin infini, il préleva quelques gouttes au fond de chaque tasse, qu’il mit dans de petits tubes aussitôt bouchés, sans oublier de goûter chaque prélèvement. Son visage changea brusquement d’expression et afficha un curieux mélange de surprise et de soulagement.

— Hé oui ! dit-il enfin. C’est l’évidence même. Ma première idée était totalement erronée, c’est clair… et pourtant il y a quelque chose d’étrange. Enfin, peu importe !

Et, avec ce haussement d’épaules qui lui était coutumier, il chassa de son esprit ce qui le tracassait. Depuis le début, j’aurais pu lui dire que ses recherches obstinées à propos du café ne pouvaient le conduire qu’à une impasse mais je préférai m’abstenir. Même si ses facultés avaient baissé, Poirot méritait de conserver son prestige de jadis.

— Le petit déjeuner est servi, annonça John Cavendish, venant du hall. Vous joindrez-vous à nous, Mr Poirot ?

Mon ami accepta. J’observai John. Il était revenu à l’état normal. Si les événements qui avaient marqué cette nuit tragique l’avaient un moment perturbé, son tempérament égal lui avait permis de se remettre très vite. Homme de peu d’imagination, il offrait en cela un contraste saisissant avec son frère, qui, lui, en avait peut-être trop !

Depuis les premières heures de la matinée, John avait été très occupé à envoyer des télégrammes (dont l’un des tout premiers était destiné à Miss Howard) et à rédiger des notices nécrologiques pour les différents journaux. De plus, il avait pris en charge toutes les terribles corvées qui résultent d’un décès.

— Puis-je vous demander où vous en êtes ? s’enquit-il. Votre enquête va-t-elle conclure à une mort naturelle de notre mère ou… ou devons-nous nous préparer au pire ?

— Mr Cavendish, fit Poirot d’un ton grave, vous devriez renoncer à vous bercer de faux espoirs. Quel est le sentiment des autres membres de la famille ?

— Mon frère, Lawrence, est persuadé que nous nous agitons à tort. Pour lui, tout indique qu’il s’agit d’un simple accident cardiaque.

— Vraiment ? Ça, c’est très intéressant… oui, très intéressant, murmura Poirot. Et que pense Mrs Cavendish ?

Le visage de John se rembrunit.

— Je n’ai pas la moindre idée de ce que peut penser ma femme.

Cette réponse provoqua une gêne passagère. Un lourd silence s’ensuivit, que John parvint enfin à rompre :

— Vous ai-je dit que Mr Inglethorp était revenu ?

Poirot hocha la tête.

— La situation est difficile pour nous tous. Bien sûr, nous devons continuer à le traiter comme par le passé, mais tout de même ! Cela soulève le cœur de partager sa table avec un meurtrier présumé !

— Je comprends ce que cette situation peut avoir de pénible. Cependant j’aimerais vous poser une question. Si je ne me trompe, la raison pour laquelle Mr Inglethorp n’est pas rentré hier soir, c’est qu’il avait oublié sa clef. C’est bien cela ?

— Oui.

— Naturellement, vous êtes sûr qu’il avait effectivement oublié cette clef ? Qu’il ne l’avait pas sur lui ?

— Je n’en ai pas la moindre idée. Je n’ai pas pensé à vérifier. Nous la laissons toujours dans un tiroir du vestibule. Je vais voir si elle y est encore.

Poirot eut un petit sourire.

— Trop tard, Mr Cavendish. Je suis certain qu’elle s’y trouve. S’il l’a prise hier, Mr Inglethorp a eu tout le temps de la remettre à sa place depuis.

— Vous croyez que…

— Je ne crois rien. Si quelqu’un avait vu la clef dans le tiroir ce matin, avant son retour, ç’aurait été un bon point en sa faveur, c’est tout.

John paraissait perplexe.

— Ne vous en faites donc pas, dit Poirot d’une voix douce. Ne laissez pas ce détail vous inquiéter… Et, puisque vous me l’avez proposé si gentiment, si nous allions prendre le petit déjeuner ?

Tout le monde était réuni dans la salle à manger. Après les événements tragiques de la nuit, l’ambiance n’était guère à la franche gaieté. La réaction à ce genre de choc est toujours pénible et je crois que nous en souffrions encore. Certes, décorum et bonne éducation nous imposaient un comportement aussi normal que possible, mais je ne pouvais m’empêcher de me demander si, pour la plupart d’entre nous, cela représentait un véritable effort : pas d’yeux rougis, |aucun signe d’un chagrin contenu à grand-peine – ce qui me conforta dans l’idée que Dorcas était la seule personne vraiment affectée par la disparition de sa maîtresse.

Je ne m’étendrai pas sur le compte de Mr Inglethorp jouant son rôle de veuf éploré avec une hypocrisie révoltante. Savait-il que nous le soupçonnions ? Malgré nos efforts pour le cacher, il ne pouvait l’ignorer. Ressentait-il les affres d’une peur secrète ou croyait-il à son impunité ? L’atmosphère pesante devait l’avertir qu’il faisait figure d’accusé.

Mais tout le monde le soupçonnait-il ? Qu’en était-il de Mrs Cavendish ? Assise en bout de table, elle donnait l’image d’une grâce quelque peu affectée, énigmatique. Dans sa robe gris perle, dont les poignets à ruchés blancs retombaient élégamment sur ses mains fines, elle était extrêmement belle. Pourtant je savais que, si elle le désirait, son visage pouvait devenir aussi impénétrable que celui du sphinx. Elle ne desserra guère les lèvres, mais j’eus la curieuse impression que sa forte personnalité nous dominait tous.

Et la jeune Cynthia ? Soupçonnait-elle la même personne que nous ? Elle me parut bien pâle, souffrante même. Elle avait le geste lourd, l’élocution pâteuse. Quand je lui demandai si elle ne se sentait pas bien, elle me répondit avec franchise :

— Non. J’ai un mal de tête épouvantable.

— Prenez donc un autre café, proposa Poirot avec sollicitude. Cela vous revigorera. Et rien de tel pour combattre la migraine.

Il s’empressa de lui prendre sa tasse.

— Non, merci, lui dit Cynthia comme il saisissait la pince à sucre.

— Pas de sucre ? Restriction de guerre, c’est ça ?

— Non, je ne sucre jamais mon café.

— Tiens donc ! marmonna Poirot avant de poser devant elle la tasse qu’il venait de remplir.

Il avait parlé si bas que je fus le seul à l’entendre. Intrigué, je levai les yeux et vis sur son visage tous les signes d’une exultation secrète. Ses prunelles brillaient du plus beau vert comme celles d’un matou sur le sentier de l’amour. Pour être aussi enthousiaste, il avait certainement remarqué quelque chose. Mais quoi ? Je ne me considère pas comme totalement stupide, mais je dois avouer que rien de particulier n’avait attiré mon attention.

La porte s’ouvrit et Dorcas entra.

— Mr Wells désirerait vous voir, monsieur, dit-elle à John.

Je connaissais ce nom : c’était l’avoué à qui Mrs Inglethorp avait écrit la veille. John se leva.

— Faites-le entrer dans mon bureau, Dorcas. (Puis, se tournant vers nous :) Mr Wells est l’avoué de ma belle-mère. Il est aussi coroner… si vous voyez ce que je veux dire. Peut-être aimeriez-vous venir avec moi ?

Nous acceptâmes de concert et quittâmes la salle à manger avec lui. John ouvrait la marche et j’en profitai pour murmurer à l’oreille de mon ami :

— Il y aura donc une enquête ?

Il hocha la tête d’un air absent. Il semblait à tel point plongé dans ses pensées que je ne pus refréner ma curiosité :

— Que se passe-t-il ? Vous m’écoutez à peine.

— C’est vrai, mon bon ami ; je suis très ennuyé.

— Pour quoi ça ?

— Parce que Miss Cynthia ne prend jamais de sucre dans son café.

— Pardon ? Vous plaisantez ?

— Je suis très sérieux au contraire. Ah ! Il y a là un point qui m’échappe ! Mon intuition ne m’avait pas trompé.

— Quelle intuition ?

— Celle qui m’a poussé à examiner les tasses à café. Mais chut ! Plus un mot là-dessus.

Nous suivîmes John dans son bureau, et il referma la porte derrière nous.

Mr Wells était un homme entre deux âges, à la physionomie avenante. Ses yeux vous radiographiaient et ses lèvres possédaient l’ourlet propre à la catégorie des hommes de loi. John nous présenta et lui expliqua les raisons de notre présence à Styles Court.

— Vous comprendrez, Wells, que tout ceci doit rester strictement entre nous. Nous espérons encore qu’une enquête se révélera inutile.

— Bien entendu, répondit l’avoué, apaisant. Hélas ! j’aurais aimé vous éviter l’épreuve et le qu’en-dira-t-on qui accompagnent toujours une enquête judiciaire, mais, en l’absence d’un permis d’inhumer délivré par un médecin, elle devient indispensable.

— Oui, je comprends.

— Un homme remarquable, ce Bauerstein. Une autorité en matière de toxicologie, je crois ?

— En effet, reconnut John avec réticence avant d’ajouter, d’une voix hésitante : Devrons-nous comparaître comme témoins ? Je veux dire… tous ?

— Vous, très certainement. Ainsi que… euh… hum… Mr… euh… Inglethorp.

L’avoué laissa passer quelques secondes avant de poursuivre de sa voix lénifiante :

— Les autres dépositions n’auront pour but que de confirmer vos dires. Simple formalité.

— Je vois.

Une expression ressemblant à du soulagement passa sur le visage de John. Cette réaction m’étonna, car elle ne me semblait pas justifiée.

— Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, reprit Mr Wells, j’ai pensé à vendredi pour recueillir les témoignages. Cela nous laissera le temps d’obtenir les conclusions du légiste. L’autopsie doit être pratiquée ce soir, je crois ?

— C’est exact.

— Bien. Nous sommes donc d’accord sur la date ?

— Tout à fait.

— Inutile de vous dire, mon cher Cavendish, combien je suis bouleversé par cette tragique affaire.

— Ne pourriez-vous nous aider à la résoudre, monsieur ? intervint alors Poirot qui n’avait encore rien dit.

— Moi ?

— Nous savons que Mrs Inglethorp vous a adressé un courrier juste avant son décès. Vous l’avez sans doute reçu ce matin ?

— Effectivement, mais cette lettre ne contenait rien de particulier. Un simple mot me demandant de venir la voir précisément ce matin, car elle souhaitait mes conseils sur une question importante.

— Elle ne vous a donné aucun indice sur la nature de cette question ?

— Hélas ! non.

— Quel dommage ! dit John.

— C’est en effet grandement dommage, renchérit gravement Poirot.

Un silence s’ensuivit. Poirot restait plongé dans ses pensées. Finalement, il se tourna vers l’avoué :

— Mr Wells, j’ai une question à vous poser, si toutefois elle n’est pas en contradiction avec votre obligation de réserve. À la disparition de Mrs Inglethorp, qui doit hériter de ses biens ?

L’homme de loi hésita un peu avant de répondre :

— La réponse sera bientôt connue de tous, et si Mr Cavendish n’y voit pas d’objection…

— Aucune, dit aussitôt John.

— Dans ce cas, rien ne s’oppose à ce que je réponde à votre question, Mr Poirot. Dans son dernier testament, enregistré au mois d’août de l’année dernière – et à part quelques legs de peu d’importance en faveur des domestiques, etc. – Mrs Inglethorp laissait toute sa fortune à son beau-fils, Mr John Cavendish.

— Veuillez excuser cette remarque, Mr Cavendish – ces dispositions n’étaient-elles pas quelque peu injustes envers Mr Lawrence Cavendish, son autre beau-fils ?

— Non, je ne pense pas. Voyez-vous, d’après les termes du testament de son père, John héritait de la propriété, tandis que Lawrence, à la mort de sa belle-mère, recevrait la fortune considérable dont elle était usufruitière. Mrs Inglethorp a souhaité léguer sa propre fortune à John, sachant qu’il en aurait besoin pour entretenir Styles Court. À mon avis, cette répartition était tout à fait équitable.

La mine pensive, Poirot acquiesça.

— Je comprends. Mais ai-je raison de prétendre que, d’après la loi anglaise, ce testament a été automatiquement annulé par le remariage de Mrs Inglethorp ?

Mr Wells acquiesça d’un signe de tête.

— J’allais le dire, Mr Poirot. Ce testament est en effet nul et non avenu.

— Tiens, tiens ! fit Poirot, toujours pensif. Mrs Inglethorp connaissait-elle cette particularité juridique ?

— Je n’en sais rien. C’est possible.

— Elle la connaissait, intervint John, à notre grande surprise. Nous discutions encore de ces testaments annulés pour cause de remariage pas plus tard qu’hier.

— Ah ! Une dernière question, Mr Wells. Vous avez dit : « dans son dernier testament ». Est-ce que cela signifie qu’elle en avait déjà rédigé d’autres ?

— Elle en faisait au moins un nouveau chaque année, répondit Mr Wells avec le plus grand sérieux. Elle avait tendance à changer fréquemment de dispositions testamentaires. Elle avantageait tantôt un membre de sa famille, tantôt un autre.

— Supposons alors, Mr Wells, qu’elle ait rédigé à votre insu un nouveau testament favorisant un étranger à la famille – disons : Miss Howard, par exemple. Cela vous paraîtrait-il surprenant ?

— Pas du tout.

— Ah !

Poirot semblait en avoir fini avec ses questions. Pendant que l’avoué et John se demandaient s’il était opportun de prendre connaissance des papiers de Mrs Inglethorp, je m’approchai de mon ami.

— Vous pensez que Mrs Inglethorp aurait pu rédiger un testament faisant de Miss Howard sa légataire universelle ? lui demandai-je à voix basse.

Poirot sourit.

— Non.

— Alors pourquoi cette question ?

— Chut !

John Cavendish s’était tourné vers lui.

— Si vous voulez nous accompagner, Mr Poirot ? Nous allons examiner les papiers de ma mère. Mr Inglethorp consent à nous laisser ce soin, à Mr Wells et à moi-même.

— Voilà qui simplifie les choses, dit l’avoué à mi-voix. Légalement, il aurait été en droit de…

Il laissa sa phrase en suspens.

— Nous commencerons par le secrétaire du boudoir, décida John. Ensuite nous monterons dans sa chambre. Elle conservait les documents les plus importants dans une mallette violette. Ceux-là, il nous faudra les éplucher avec le maximum de soin.

— En effet, dit l’avoué. On ne peut écarter l’hypothèse d’un testament plus récent que celui en ma possession.

— Ce n’est pas une hypothèse, dit Poirot, mais une réalité.

— Pardon ?

Éberlués, John et Mr Wells dévisageaient mon ami.

— Ou, pour être précis, fit Poirot sans sourciller, c’était une réalité.

— Expliquez-vous ! Où est ce testament ?

— Parti en fumée. Brûlé.

— Brûlé ?

— Oui. Voyez vous-même.

Il exhiba le bout de papier aux bords calcinés qu’il avait récupéré dans la cheminée de la chambre et le tendit à Mr Wells. Brièvement, il précisa l’endroit et la manière dont il l’avait découvert.

— C’est peut-être un testament plus ancien.

— Cela m’étonnerait fort. J’ai la quasi-certitude que celui-ci n’a pas été rédigé avant hier après-midi.

— Comment ? Mais c’est impossible ! s’exclamèrent les deux hommes d’une seule et même voix.

Poirot se tourna vers John :

— Permettez-moi de faire venir le jardinier, et je pense être à même de vous le démontrer.

— Euh… très bien… mais je ne vois pas…

— Accédez à ma requête, insista Poirot. Ensuite vous pourrez me poser toutes les questions que vous voudrez.

— Comme il vous plaira, fit John en tirant le cordon de la sonnette.

Quelques instants plus tard, Dorcas entrait dans la pièce.

— Veuillez faire venir Manning, Dorcas. J’ai à lui parler.

— Bien, monsieur, dit la domestique qui se retira aussitôt.

Nous gardâmes un silence tendu jusqu’à l’arrivée du jardinier. Seul Poirot semblait parfaitement à son aise. D’un geste machinal il essuya un coin d’étagère dans la bibliothèque.

Le gravier crissa sous les lourdes chaussures ferrées de Manning et ce dernier apparut à la porte-fenêtre. Comme John interrogeait Poirot du regard, mon ami l’encouragea d’un signe de tête.

— Entrez, Manning, dit John. J’ai à vous parler.

Le jardinier ne fit que passer le seuil de la porte-fenêtre. Visiblement mal à l’aise, il tournait et retournait sa casquette entre ses doigts. Malgré son dos voûté, il ne devait pas être aussi âgé qu’il le paraissait. Son regard vif brillait d’intelligence, démentant son parler à la lenteur circonspecte.

— Manning, annonça John, ce monsieur va vous poser quelques questions auxquelles je vous prie de répondre.

— Bien, m’sieur.

Poirot fit un pas en avant. Le jardinier lui jeta un regard nuancé de condescendance.

— Hier après-midi, vous étiez occupé à planter un parterre de bégonias près de la façade sud, n’est-ce pas ?

— C’est exact, m’sieur. Même que William me prêtait la main.

— Et Mrs Inglethorp vous a appelés par la porte-fenêtre du boudoir, n’est-ce pas ?

— Oui, m’sieur. C’est ben vrai, ça.

— Dites-moi, dans vos propres termes, ce qui s’en est suivi.

— Ben, pas grand-chose, m’sieur. Madame a ordonné comme ça à William de descendre à vélo jusqu’au village et de lui ramener une feuille de papier timbré, je crois. Elle lui a mis par écrit ce qu’elle voulait au juste.

— Et puis ?

— Ben, William, il a fait ce que Madame elle voulait, m’sieur.

— Bien. Et ensuite ?

— Ben, nous deux, William et moi, on s’en est retournés nous occuper des bégonias, m’sieur.

— Mrs Inglethorp ne vous a-t-elle pas appelé un peu plus tard ?

— Si, m’sieur. Moi et William, tous les deux.

— Continuez.

— Elle nous a fait entrer et elle nous a demandé de signer sur une grande feuille de papier timbré, sous sa signature à elle.

— Vous souvenez-vous de ce qui était écrit au-dessus de sa signature ?

— Non, m’sieur. Elle avait mis un morceau de papier buvard pour le cacher.

— Vous avez donc signé à l’endroit qu’elle vous a montré ?

— Oui, m’sieur. D’abord moi, et puis ensuite William.

— Et qu’a-t-elle fait de cette feuille ?

— Elle l’a mise dans une longue enveloppe qu’elle a rangée dans une espèce de boîte violette sur le secrétaire.

— À quelle heure vous a-t-elle appelés la première fois ?

— À peu près 16 heures, m’sieur.

— N’était-il pas plutôt 15h30 ?

— Non, m’sieur. Même qu’il était sûrement 16 heures passées. Pas moins.

— Eh bien, je vous remercie, Manning. Ce sera tout, dit Poirot sur un ton cordial.

Le jardinier jeta un coup d’œil à John qui lui fit un signe de tête. Alors Manning porta un doigt à son front, marmonna quelques mots incompréhensibles et sortit par où il était entré.

Nous nous entreregardâmes un instant.

— Seigneur ! balbutia John. Quelle coïncidence extraordinaire !

— Comment cela, une coïncidence ?

— Que ma mère ait fait un testament le jour même de sa mort !

Mr Wells s’éclaircit la voix, puis d’un ton sec :

— Vous croyez vraiment qu’il s’agit là d’une coïncidence, Cavendish ?

— Que voulez-vous dire ?

— Votre mère, vous me l’avez dit vous-même, avait eu une violente altercation avec… avec quelqu’un, hier après-midi.

— Que voulez-vous dire ? répéta John qui avait pâli et dont la voix tremblait.

— Juste après cette altercation, continua l’avoué, Mrs Inglethorp a rédigé à la hâte un nouveau testament dont nous ne connaîtrons sans doute jamais le contenu. Elle n’a parlé à personne des dispositions qu’elle y prenait. Il ne fait aucun doute qu’elle m’aurait demandé mon avis ce matin, mais on ne lui en a pas laissé le temps. Ce document disparaît en fumée, et votre mère emporte son secret dans la tombe. Cavendish, j’ai bien peur qu’on ne puisse voir là une simple coïncidence. Mr Poirot sera de mon avis si je dis que ces faits sont très révélateurs.

— Qu’ils le soient ou non, l’interrompit John, nous devons remercier Mr Poirot d’avoir élucidé cette énigme. Sans sa perspicacité, jamais nous n’aurions soupçonné l’existence de ce testament. Je suppose, monsieur, que ce n’est pas la peine de vous demander ce qui vous a amené à imaginer cela.

Poirot sourit :

— Une vieille enveloppe griffonnée. Et un parterre de bégonias fraîchement plantés.

John l’eût sans doute pressé de s’expliquer si nous n’avions été distraits par le vrombissement d’un moteur. Nous nous retournâmes vers la fenêtre au moment où l’automobile passait.

— Evie ! s’exclama John. Veuillez m’excuser, Wells, poursuivit-il – et, sans attendre, il sortit dans le vestibule.

Poirot me questionna du regard.

— Miss Howard, lui expliquai-je.

— Ah ! Je suis heureux qu’elle soit venue. Voilà une femme intelligente et dotée d’un grand cœur. Dommage que le Créateur ne lui ait pas donné la beauté en prime.

Je suivis John à temps pour accueillir Miss Howard dans le vestibule. Elle s’appliquait à se dégager des amples voiles de deuil qui lui enveloppaient la tête. Quand ses yeux se posèrent sur moi, j’éprouvai un sentiment de remords. Cette femme m’avait mis en garde solennellement, et je n’avais guère prêté attention à ses avertissements. Non sans un certain dédain, je les avais aussitôt chassés de mon esprit. Maintenant que les événements tragiques de la nuit lui donnaient raison, j’avais honte. Elle ne connaissait que trop bien Mr Inglethorp. Le drame aurait-il eu lieu sans son départ de Styles Court ? Le meurtrier n’aurait-il pas redouté sa vigilance ?

Elle me prit la main qu’elle secoua avec cette énergie dont je me souvenais si bien, et j’en fus soulagé. Son regard rencontra le mien et, s’il était voilé par la tristesse, je n’y lus aucun reproche. À ses yeux rougis, je voyais bien qu’elle avait beaucoup pleuré, mais elle conservait dans son comportement sa rudesse habituelle.

— Je me suis mise en route sitôt reçu le télégramme. Je sortais de mon travail. J’ai loué une automobile. Pour arriver au plus vite.

— Evie, avez-vous eu le temps de manger quelque chose, ce matin ? s’enquit John.

— Non.

— C’est bien ce que je pensais. Venez. La table du petit déjeuner n’a pas encore été débarrassée, et on va vous faire préparer du thé. (Il se tourna vers moi.) Vous voulez bien vous occuper d’elle, Hastings ? Je dois retourner auprès de Wells. Oh ! Evie, je vous présente Mr Poirot. Il nous aide… beaucoup.

Miss Howard tendit la main à mon ami mais, par-dessus son épaule, elle jeta un regard intrigué à John.

— Comment cela : il vous aide ?

— À poursuivre notre enquête.

— Quelle enquête ? Il n’y a rien à enquêter. Ils ne l’ont pas encore jeté en prison ?

— Jeté qui en prison ?

— Qui ? Alfred Inglethorp, évidemment !

— Allons, ma bonne Evie ! Un peu de prudence. Lawrence pense que notre mère a succombé à une crise cardiaque.

— Quel idiot, ce Lawrence ! rétorqua Miss Howard. Alfred Inglethorp a tué cette pauvre Émily – je vous avais bien dit qu’il en arriverait là !

— Ne criez pas comme ça, ma chère Evie ! Quels que soient notre avis ou nos soupçons, il vaut mieux en dire le moins possible pour le moment. L’enquête officielle ne débutera que vendredi.

— Et puis quoi encore ? s’exclama-t-elle, superbe dans son indignation. Vous avez tous perdu la tête ! Ce type aura quitté le pays depuis longtemps ! Pas si bête ! Il ne va pas attendre ici qu’on l’arrête pour le pendre !

Et comme John Cavendish ne trouvait rien à dire :

— Oh, je comprends ! lança-t-elle. Vous avez écouté les sornettes des médecins ! La chose à ne jamais faire ! Qu’est-ce qu’ils y connaissent ? Rien de rien, ou juste assez pour être dangereux ! J’en sais quelque chose : mon père était médecin ! Ce petit Wilkins est le plus parfait imbécile que j’aie jamais vu ! Une crise cardiaque ! Ça ne m’étonne pas ! N’importe quel individu qui n’écouterait que son bon sens verrait tout de suite que c’est son mari qui l’a empoisonnée ! Je l’avais bien dit, qu’il l’assassinerait dans son lit, ma pauvre Émily ! Et c’est ce qu’il a fait ! Et vous vous contentez de bafouiller des âneries : « C’est une crise cardiaque » ! « L’enquête officielle ne débutera que vendredi » ! Vous devriez avoir honte, John Cavendish !

— Qu’est-ce que vous voulez que je fasse ? demanda John qui ne put réprimer un petit sourire. Je ne peux quand même pas le prendre par la peau du cou et l’emmener au commissariat !

— Vous pourriez au moins vous remuer. Trouver comment il s’y est pris. C’est un type rusé ! Il a dû faire une décoction de papier tue-mouches ! Demandez à la cuisinière s’il lui en manque.

Je compris sans l’ombre d’un doute que réussir à faire cohabiter Miss Howard et Alfred Inglethorp représentait une tâche herculéenne, et je plaignis sincèrement John. À l’évidence, il était conscient de cette difficulté. Il chercha momentanément refuge dans la retraite et nous quitta avec une certaine précipitation.

Lorsque Dorcas apporta le thé, Poirot quitta l’embrasure de la fenêtre où il s’était retiré et s’attabla en face de Miss Howard.

— J’ai un service à vous demander, dit-il d’un ton empreint de gravité.

— Demandez toujours, répondit la digne personne sans enthousiasme excessif.

— J’aimerais pouvoir compter sur votre aide.

— Si c’est pour faire pendre Alfred Inglethorp, avec plaisir ! lâcha-t-elle d’un ton farouche. Encore que ce soit une fin trop douce pour lui ! Il mériterait l’écartèlement, comme dans le bon vieux temps !

— Nous sommes d’accord là-dessus, approuva Poirot. Je désire moi aussi envoyer le coupable à la potence.

— Alfred Inglethorp ?

— Lui, ou un autre.

— Pas question d’un autre ! Avant qu’il ne pointe le bout de son nez, cette pauvre Émily n’avait jamais été assassinée, que je sache ! Je ne dis pas qu’elle était entourée d’anges ! Mais ces requins-là ne convoitaient que son porte-monnaie ! Au moins, sa vie n’était pas menacée. Survient Mr Alfred Inglethorp et – en deux mois – le tour est joué !

— Croyez-moi, Miss Howard, affirma Poirot, si Mr Inglethorp est notre homme, il ne m’échappera pas. Sur mon honneur, je le ferai pendre haut et court !

— J’aime mieux ça ! approuva Miss Howard déjà plus favorablement disposée.

— Mais je dois vous demander de me faire confiance. Votre concours peut m’être très précieux. Je vais vous dire pourquoi : dans cette maison frappée par le deuil, vous êtes la seule à avoir pleuré.

Miss Howard cligna plusieurs fois des paupières, et sa voix prit une intonation plus douce.

— Si vous voulez dire par là que j’avais de l’affection pour elle, eh bien, c’est vrai. Vous savez, Émily était une vieille femme égoïste, à sa manière. Elle était très généreuse, mais il lui fallait quelque chose en retour. Elle rappelait toujours aux gens ce qu’elle avait fait pour eux. C’est pourquoi elle n’était pas aimée. Elle ne s’en rendait d’ailleurs pas compte, et ça ne lui manquait pas. Du moins, j’espère. Pour moi, c’était différent. Dès le premier jour, je lui avais dit : « Je vaux tant de livres par an, un point c’est tout. Pas de gratifications par-ci par-là ! Pas de paire de gants en cadeau, ni de places de théâtre gratuites ! » Au début, elle n’avait pas compris. Je crois même qu’elle en était vexée. Elle me traitait de sotte et d’orgueilleuse ! Ce n’était pas vrai, mais je ne pouvais pas le lui dire. Mais c’est comme ça que j’ai gardé ma fierté ! Et j’étais la seule qui pouvait se permettre de l’aimer ! Je prenais soin d’elle. Je la protégeais des autres. Mais voilà qu’arrive une fripouille aux discours sucrés et pfft !… toutes ces années de dévouement ne comptent plus !

Poirot acquiesça avec un sourire compatissant :

— Je devine ce que vous ressentez, mademoiselle. C’est bien naturel. Vous nous jugez trop timorés – vous pensez que nous manquons d’ardeur à la tâche – mais croyez-moi, ce n’est pas le cas.

La porte s’ouvrit soudain et John passa la tête pour nous inviter tous deux à l’accompagner dans la chambre de Mrs Inglethorp : Mr Wells et lui avaient fini d’examiner le secrétaire du boudoir.

Alors que nous montions à l’étage, John lança un regard vers la porte de la salle à manger et me glissa à l’oreille :

— À votre avis, que se passera-t-il quand ces deux-là se rencontreront ?

Je secouai la tête en signe d’impuissance.

— J’ai recommandé à Mary de les tenir éloignés autant que faire se pourra.

— Elle y parviendra ?

— Dieu seul le sait ! Mais il y a fort à parier qu’Inglethorp ne cherchera pas à provoquer une rencontre.

— C’est vous qui avez toujours la clef, n’est-ce pas, Poirot ? demandais-je comme nous atteignions la porte de la chambre.

John la lui prit des mains et ouvrit. Nous entrâmes dans la chambre de la défunte et Mr Wells se dirigea directement vers le secrétaire, suivi de John.

— Ma mère gardait les papiers importants dans cette mallette, je crois, expliqua-t-il.

Poirot sortit le trousseau de clefs de sa poche.

— Permettez. Par mesure de précaution je l’ai fermée à clef ce matin.

— Mais elle n’est pas fermée !

— Impossible !

— Voyez vous-même.

— Mille tonnerres ! jura Poirot, abasourdi. J’ai pourtant les deux clefs dans ma poche !

Il saisit la mallette et blêmit.

— Ça, par exemple ! Eh bien elle n’est pas mauvaise, celle-là ! Messieurs, on a forcé cette serrure !

— Quoi ?

Poirot reposa la mallette.

— Qui a bien pu la forcer ?… Et pourquoi ?… Quand ?… Mais la porte était verrouillée !

Nous parlions tous en même temps. Poirot reprit chacune de ces exclamations de façon systématique :

— Qui ? C’est la question principale. Pourquoi ? J’aimerais bien le savoir. Quand ? Depuis que je suis sorti d’ici, c’est-à-dire il y a moins d’une heure. Quant à la porte, sa serrure est des plus ordinaires, et n’importe quelle autre clef du même modèle peut l’ouvrir.

Nous échangeâmes des regards consternés. Cependant Poirot s’était approché de la cheminée. S’il donnait l’impression de conserver son calme, je notai que ses mains tremblaient tandis qu’il corrigeait machinalement, sur le manteau de marbre, l’alignement des vases emplis d’allume-feu.

— Voyons, dit-il après un temps, nous pouvons aisément retracer l’enchaînement des faits. Cette mallette contenait une preuve, peut-être anodine en elle-même, mais qui pouvait conduire à l’identification du meurtrier. Il était donc vital pour celui-ci de la faire disparaître avant qu’on en découvre la signification réelle. C’est pourquoi il a pris le risque, le très grand risque, de s’introduire ici. Trouvant la mallette fermée à clef, il s’est vu obligé d’en forcer la serrure, trahissant ainsi sa manœuvre. Mais pour qu’il ait encouru le danger d’être démasqué, il fallait que cette preuve fût accablante…

— Qu’était-ce, à votre avis ?

— Ah ! s’exclama Poirot avec un geste trahissant sa colère. C’est ce que j’aimerais savoir ! Un document quelconque, selon toute probabilité. Il pourrait s’agir de cette feuille de papier que Dorcas a vue entre les mains de Mrs Inglethorp hier après-midi. Et moi… (son énervement décupla soudain) misérable imbécile que je suis ! Je ne l’ai pas deviné ! Je me suis comporté comme le dernier des idiots ! Jamais je n’aurais dû laisser la mallette dans cette chambre. J’aurais dû la garder auprès de moi. Ah ! triple buse que vous êtes, Hercule Poirot ! Par votre négligence, cette preuve a disparu. Sans doute a-t-elle été détruite. À moins que… S’il reste la plus infime chance, nous ne devons pas la négliger…

Il sortit de la pièce avec une précipitation telle que je mis un temps avant de réagir et de le suivre. Mais il avait déjà disparu quand j’arrivai en haut des marches.

Sur le palier, Mary Cavendish, immobile, l’avait suivi du regard.

— Quelle mouche a donc piqué votre extraordinaire ami, Mr Hastings ? Il vient de dévaler l’escalier tête baissée.

— Il s’est énervé sur un détail, répondis-je vaguement, car je n’étais pas du tout certain que Poirot apprécierait une indiscrétion de ma part.

Un vague sourire détendit les lèvres de Mrs Cavendish et je tentai de changer de sujet.

— Ils ne se sont pas encore croisés ?

— De qui parlez-vous ?

— De Miss Howard et d’Alfred Inglethorp !

Le regard qu’elle posa sur moi avait quelque chose de déroutant.

— Vous pensez vraiment que leur rencontre serait dramatique ?

— Ce n’est pas votre avis ? répliquai-je avec quelque étonnement.

Elle eut ce sourire serein qui lui allait si bien.

— Non. Ça ne me déplairait pas d’assister à une belle altercation. Voilà qui dégagerait peut-être l’atmosphère. Tout le monde réfléchit beaucoup trop, en ce moment, et personne ne dit ce qu’il a sur le cœur !

— John ne partage pas cet avis. Il fait tout pour les tenir éloignés l’un de l’autre.

— Oh ! John…

Quelque chose en elle commençait à m’agacer et je ne pus m’empêcher de m’exclamer :

— John est un très chic type !

Elle m’observa avec un certain étonnement, puis, à ma stupeur, elle constata :

— Vous faites preuve d’une grande loyauté envers votre ami. C’est une chose qui me plaît en vous.

— N’êtes-vous pas mon amie, vous aussi ?

— Je suis une très mauvaise amie.

— Pourquoi dites-vous ça ?

— Parce que c’est la vérité. Je suis tout à mes amis un jour, et le lendemain je les ignore complètement.

Je ne sais pourquoi, mais décidément l’agacement me gagnait. Avec un manque de tact regrettable, je lançai :

— Pourtant vous semblez toujours disponible pour le Dr Bauerstein !

À peine eus-je lâché ces mots que je me maudis. Les traits de Mrs Cavendish se durcirent, comme si un masque rigide se posait sur son visage. Les lèvres serrées, elle tourna les talons et monta l’escalier d’une démarche raide. Écrasé par ma propre stupidité, je restai immobile, bouche bée, à la regarder s’éloigner.

Les échos d’une violente diatribe me ramenèrent à la réalité. Je reconnus la voix de Poirot et son exécrable salmigondis de français mêlé à notre belle langue. Il confessait son erreur à la cantonade, comme désireux de l’expliquer à tous. J’en fus quelque peu vexé : les trésors de diplomatie que j’avais su déployer étaient réduits à néant – navré aussi : ce procédé me paraissait pour le moins discutable – peiné par-dessus tout : la propension de Poirot, l’âge venant, à perdre tout contrôle dans les moments de tension me frappa à nouveau douloureusement. Je descendis rapidement dans le vestibule. Dès qu’il me vit, le petit Belge parut recouvrer son calme. Je le pris à l’écart.

— Allons, mon ami, lui dis-je, avez-vous perdu tout sens commun ? Vous voulez donc que tout Styles Court apprenne la disparition de cet indice ? Votre comportement fait le jeu du coupable !

— C’est ce que vous pensez, Hastings ?

— J’en ai la certitude.

— Fort bien, mon bon ami. Je m’en remets à vous.

— Voilà qui est mieux. Mais je ne vous cache pas qu’il est un peu tard…

— Certes.

Il paraissait tellement penaud que j’en éprouvai quelque remords, et cependant mes remontrances ne m’en semblaient pas moins justifiées.

— Eh bien, dit-il après un long moment de silence, si nous partions, mon bon ami ?

— Vous n’avez plus rien à faire ici ?

— Non ; du moins pour l’instant. M’accompagnerez-vous jusqu’au village ?

— Avec plaisir.

Il prit sa trousse et nous sortîmes par la porte-fenêtre du salon. Nous croisâmes Cynthia Murdoch qui venait du jardin, et Poirot s’écarta pour lui laisser le passage.

— Excusez-moi, mademoiselle. Rien qu’une minute.

Elle lui lança un regard interrogateur.

— Oui, qu’y a-t-il ?

— Vous est-il arrivé de préparer les remèdes de Mrs Inglethorp ?

Une légère rougeur envahit ses pommettes et elle eut soudain l’air embarrassé :

— Non.

— Simplement ses poudres, peut-être ?

— Ça, oui ! répondit-elle en continuant de rougir. Une fois, je lui ai préparé quelques doses de poudre somnifère.

— Comme… ceci ? demanda Poirot en exhibant la petite boîte trouvée dans la chambre de la défunte.

Elle acquiesça.

— Pourriez-vous me préciser leur composition ? Ces doses étaient-elles à base de sulphonal ? De véronal ?

— Non. De bromure.

— Ah ! Je vous remercie, mademoiselle, et vous souhaite une bonne journée.

D’un pas rapide, nous nous éloignâmes de Styles Court. Je lançai à mon ami des regards furtifs. J’avais déjà noté que le vert de ses yeux – tout comme chez le chat – s’accentuait sous le coup d’une vive excitation, En cet instant ils brillaient comme des émeraudes.

— Mon bon ami, déclara-t-il enfin, j’ai une petite théorie. Assez étrange et peut-être erronée… et pourtant, elle cadre à merveille avec la trame de notre affaire.

J’eus un haussement d’épaules. Poirot me paraissait un peu trop sujet aux idées saugrenues. Dans le cas qui nous occupait, la solution de l’énigme crevait pourtant les yeux.

— Vous avez donc trouvé l’explication du nom manquant sur l’étiquette de la boîte, dis-je. Très simple, en effet. Je me demande d’ailleurs pourquoi je n’y avais pas songé.

Poirot ne semblait guère me prêter attention.

— Ils ont découvert autre chose, là-bas, fit-il en désignant du pouce Styles Court. Mr Wells m’en a fait part alors que nous montions inspecter la chambre.

— De quoi s’agit-il ?

— Ils ont trouvé, dans le secrétaire fermé à clef du boudoir, un autre testament rédigé par Mrs Inglethorp. Celui-ci porte une date antérieure à son mariage avec Alfred Inglethorp et qui correspond sans doute à l’époque de leurs fiançailles. Wells et Cavendish en ignoraient l’existence. Mrs Inglethorp y lègue tous ses biens à son futur mari. C’est écrit en toutes lettres sur un formulaire imprimé, contresigné par deux des domestiques : mais pas Dorcas.

— Et Alfred Inglethorp était au courant de l’existence d’un tel document ?

— Il m’a affirmé le contraire.

— Déclaration qu’on peut ne pas prendre pour argent comptant ! fis-je remarquer. Tous ces testaments rendent les choses bien confuses. Au fait, dites-moi : comment les quelques mots griffonnés sur cette enveloppe vous ont-ils permis de déduire qu’un testament avait été rédigé hier après-midi ?

— Mon bon ami, répondit Poirot en souriant, vous est-il déjà arrivé d’hésiter sur l’orthographe d’un mot, au moment de l’employer dans une lettre ?

— Oui, en plus d’une occasion. Et tout le monde a ce genre d’hésitation.

— Justement. Et n’avez-vous pas alors écrit le mot une ou deux fois, sur votre buvard ou sur un papier quelconque pouvant servir de brouillon, pour mieux voir si son orthographe vous paraissait correcte ? Eh bien, c’est précisément ce qu’a fait Mrs Inglethorp. Le participe « possédé » est écrit une première fois avec un seul s, puis correctement, avec deux. Pour mieux juger, elle l’a ensuite employé dans une phrase : « Je suis possédée ». Où cela nous mène-t-il ? Mrs Inglethorp a donc écrit ce mot : « possédée » hier après-midi ; en faisant le rapprochement avec le morceau de papier retrouvé dans les cendres de la cheminée, l’éventualité d’un nouveau testament a pris corps, car c’est un verbe fort usité dans un tel document. Un autre indice est venu conforter cette théorie. Dans l’affolement général qui a marqué la matinée, on a oublié de faire le ménage dans le boudoir. Près du secrétaire j’ai relevé de nombreuses traces de terreau et de terre de jardin. Or, le temps est sec depuis plusieurs jours, et aucune chaussure « civilisée » n’aurait laissé de traces aussi importantes.

» J’ai regardé par la porte-fenêtre du boudoir et j’ai découvert le parterre de bégonias fraîchement plantés. Le terreau est identique à celui qui macule le tapis. Et vous m’avez appris qu’on avait planté ces bégonias hier après-midi. J’en ai donc conclu qu’un des jardiniers, et plus probablement les deux, puisqu’il y avait deux séries d’empreintes différentes sur le parterre, étaient entrés dans le boudoir. Si Mrs Inglethorp avait simplement voulu leur dire un mot, elle serait allée jusqu’à la porte-fenêtre ; ils n’auraient donc pas pénétré dans la pièce. La déduction s’est imposée d’elle-même : elle venait de rédiger un testament et les avait fait venir pour le contresigner. La suite a prouvé que j’avais vu juste.

Je ne pouvais que m’incliner devant la qualité de ces déductions.

— Très ingénieux. Et je dois avouer que je m’étais fourvoyé, ajoutai-je. Les conclusions que j’avais tirées de ces quelques mots griffonnés sur l’enveloppe étaient totalement fausses.

Poirot eut un sourire plein d’indulgence.

— Vous avez lâché la bride à votre imagination, L’imagination est une qualité lorsqu’elle sert, mais un défaut si elle commande. Plus l’explication est simple, plus elle est probable.

— Autre chose : comment avez-vous su que la clef de la mallette violette avait été égarée ?

— Mais je ne le savais pas ! C’était une simple supposition, qui s’est heureusement révélée juste. Vous vous souvenez du morceau de fil de fer entortillé autour de l’anneau ? J’en ai immédiatement déduit que la clef avait sans doute été arrachée d’un porte-clefs peu solide. D’autre part, si Mrs Inglethorp l’avait perdue, puis retrouvée, elle l’aurait remise avec son trousseau. Or, sur celui-ci se trouvait un double flambant neuf, au brillant caractéristique. D’où mon hypothèse : quelqu’un d’autre avait mis l’original dans la serrure de la mallette.

— Et ce quelqu’un ne peut être qu’Alfred Inglethorp, enchaînai-je.

Poirot me considéra avec étonnement :

— Vous êtes certain de sa culpabilité ?

— Bien sûr ! Chaque nouvel indice l’accuse plus clairement.

— C’est tout le contraire, affirma Poirot, paisible. Plusieurs faits plaident en sa faveur.

— Vous plaisantez ?

— Non.

— Des faits qui plaident en sa faveur, comme vous dites, je n’en vois qu’un.

— Et c’est ?

— Son absence de Styles Court hier soir.

— Vous n’avez vraiment pas tapé dans le mille, mon bon ami ! C’est d’après moi le seul point qui parle en sa défaveur.

— Et pourquoi donc ?

— Parce que c’est exactement ce qu’il aurait fait s’il avait su que sa femme allait être empoisonnée cette nuit. Le prétexte qu’il a invoqué est de toute évidence un faux prétexte et ne s’explique que de deux manières : ou bien il savait ce qui allait se produire, ou bien son absence était motivée par une autre raison.

— Laquelle, d’après vous ? demandai-je, sceptique.

— Comment la connaîtrais-je ? répliqua-t-il en haussant les épaules. Mais elle est sans doute inavouable. Ce Mr Inglethorp me semble appartenir à la catégorie des franches canailles… ce qui n’en fait toutefois pas d’emblée un meurtrier.

J’étais peu convaincu et ne cherchai pas à le cacher.

— Vous ne partagez pas mon avis, je vois ? fit Poirot. Eh bien, laissons cela pour le moment. L’avenir se chargera de nous départager. Intéressons-nous plutôt à d’autres aspects de cette affaire. Par exemple les portes de la chambre de Mrs Inglethorp, qui étaient toutes verrouillées de l’intérieur. Qu’en déduisez-vous ?

Cette question me prit quelque peu au dépourvu.

— Eh bien… ce fait doit pouvoir s’expliquer d’un point de vue logique…

— Exact.

— Alors voici ce que je pense : les portes étaient bien verrouillées, comme nous avons pu le constater de nos propres yeux. Mais l’existence de la tache de bougie sur le tapis et la destruction du testament prouvent que quelqu’un s’est introduit dans la chambre pendant la nuit. Vous êtes d’accord jusqu’à maintenant ?

— Tout à fait. Votre exposé est d’une remarquable limpidité. Mais poursuivez, je vous prie.

— Merci, dis-je, encouragé. L’intrus n’a pu entrer ni par la fenêtre ni par l’opération du Saint-Esprit. C’est donc Mrs Inglethorp elle-même qui a dû lui ouvrir. Cela me conforte dans ma conviction qu’il s’agit du mari, car c’est la personne qu’elle aurait sans doute laissée entrer le plus facilement.

Mais Poirot secoua la tête.

— Vous croyez ça ? Rappelez-vous qu’elle avait verrouillé la porte de communication entre leurs deux chambres. C’est un fait dont elle n’était pas coutumière, mais une violente altercation les avait opposés l’après-midi même. Non, son mari était bien la dernière personne qu’elle aurait laissée entrer cette nuit-là.

— Pourtant la porte n’a pu être ouverte que par Mrs Inglethorp elle-même, vous êtes d’accord sur ce point ?

— Il existe une autre explication. Et si, avant de se coucher, elle avait oublié de verrouiller la porte donnant sur le couloir ? N’aurait-elle pu se relever plus tard, disons vers l’aube, pour la fermer ?

— Poirot, sérieusement et tout à fait entre nous, c’est là votre thèse ?

— Je n’ai pas dit cela ; mais c’est une possibilité. Abordons maintenant cette affaire sous un autre angle. Comment expliquez-vous ces bribes de conversation, que vous avez entendues par hasard, entre Mrs Cavendish et sa belle-mère ?

— Cela m’était sorti de l’esprit, dis-je pensivement. Et je dois avouer que je ne comprends toujours pas. J’imagine mal pourquoi une femme comme Mrs Cavendish, qui est aussi fière que réservée, se serait immiscée avec une telle passion dans une affaire qui ne devait pas la regarder.

— Précisément. Voilà un comportement bien surprenant chez une femme de son éducation.

— Assez surprenant, en effet, mais sans grande importance, à mon avis. Je pense que nous pouvons laisser de côté ce détail.

Poirot laissa échapper un son plaintif.

— Oublieriez-vous ce que je vous ai maintes fois répété ? Aucun détail ne doit être négligé. S’il ne cadre pas avec la théorie, alors c’est elle qui est fautive !

— Eh bien, nous verrons, rétorquai-je, un peu agacé.

— Exactement. Nous verrons.

Nous étions arrivés devant Leastways Cottage. Poirot m’invita dans sa chambre et m’offrit une de ces petites cigarettes russes qu’il fumait à l’occasion. Non sans amusement, je vis qu’il conservait avec un soin maniaque les allumettes utilisées dans un petit pot en porcelaine. J’en oubliai mon irritation.

Poirot avait disposé deux fauteuils devant la fenêtre ouverte qui donnait sur la rue principale du village. Un léger courant d’air, agréablement tiède, annonçait que la journée serait chaude.

Soudain mon regard fut attiré par un jeune homme qui descendait la rue d’un pas pressé. Il était extraordinairement maigre, mais c’est surtout son visage qui retint mon attention : on y lisait un curieux mélange de terreur et d’agitation.

— Vous avez vu, Poirot ?

Mon ami se pencha pour regarder.

— Tiens ! Mr Mace, le préparateur de la pharmacie. Et il vient par ici…

Arrivé devant la villa, le jeune homme hésita un instant, puis frappa énergiquement à la porte.

— Une minute ! lui cria Poirot par la fenêtre. Je descends.

Il me fit signe de l’accompagner. Dès qu’il eut ouvert, Mr Mace se mit à parler :

— Oh ! Mr Poirot, croyez bien que je suis désolé de venir ainsi vous importuner chez vous, mais j’ai appris que vous reveniez à l’instant de Styles Court.

— C’est exact.

Notre visiteur humecta ses lèvres sèches, tandis que son visage trahissait un trouble profond.

— Le village entier ne parle que de la disparition brutale de Mrs Inglethorp. Et certains vont même jusqu’à prétendre que… (sa voix devint un murmure prudent) que sa mort serait due à un empoisonnement.

Poirot gardait une impassibilité totale.

— Seuls les médecins sont qualifiés pour le confirmer ou l’infirmer, Mr Mace.

— Euh… oui, bien sûr.

Le jeune homme hésita encore un peu, puis, n’y tenant plus, il agrippa le bras de Poirot et, baissant encore la voix :

— Rassurez-moi, Mr Poirot… Il n’est pas question de strychnine, au moins ?

Je ne saisis pas ce que répondit mon ami, mais sans doute resta-t-il assez vague. Le jeune homme tourna les talons et repartit. Poirot referma la porte et son regard croisa le mien.

— Hé oui, fit-il avec un lent hochement de tête. Il lui faudra venir témoigner à l’enquête.

Nous regagnâmes sa chambre sans hâte. J’allais dire quelque chose mais Poirot, d’un geste, m’intima le silence.

— Pas maintenant, mon bon ami. Il me faut réfléchir. Une certaine confusion règne dans mon esprit, et il serait fâcheux qu’elle s’installât…

Pendant les dix minutes qui suivirent, il ne desserra pas les lèvres et garda une immobilité parfaite, si l’on excepte les mouvements légers mais expressifs de ses sourcils. Le vert de ses yeux s’accentua notablement. Un profond soupir annonça la fin de ses cogitations.

— Bien. Le mauvais moment est passé. À présent les choses se présentent dans un ordre cohérent. On ne doit jamais laisser la confusion s’installer dans son esprit. Pourtant notre affaire n’est pas encore résolue. Certes non ! Car elle est extrêmement complexe. Si complexe que j’en suis encore dérouté, moi, Hercule Poirot ! Deux points sont d’une portée capitale.

— Lesquels ?

— D’abord, le temps qu’il faisait hier. C’est d’une grande importance.

— Mais il faisait très beau ! m’écriai-je. Allons, Poirot ! Vous me faites marcher, avouez-le !

— Pas le moins du monde. Le thermomètre a atteint 26°C à l’ombre. Gardez cela en tête, car c’est la clef du mystère.

— Et le second point ?

— Les goûts vestimentaires singuliers de Mr Inglethorp, sa longue barbe noire et ses lunettes.

— Poirot, vous n’êtes pas sérieux ?

— Je n’ai jamais été aussi sérieux, je vous l’assure.

— Mais c’est puéril !

— Non, c’est capital.

— Alors supposons que le jury du coroner conclue à la culpabilité de Mr Inglethorp et l’accuse de meurtre avec préméditation, que deviennent vos belles théories ?

— L’erreur de douze hommes stupides ne pourrait les ébranler. Mais cela n’arrivera pas. En premier lieu parce qu’un jury de campagne n’a aucune envie d’endosser semblable responsabilité, et que Mr Inglethorp occupe ici, de fait, la position d’un hobereau. Et surtout, ajouta-t-il avec le plus grand sérieux, parce que je ne permettrais pas une chose pareille.

— Vous ne le permettriez pas ?

— Non.

Partagé entre l’amusement et l’exaspération, je regardai cet extraordinaire petit bout d’homme. Il paraissait si sûr de son fait ! Il eut un léger hochement de tête, comme s’il pouvait lire mes pensées.

— Oh ! non, mon bon ami. Ce ne sont pas des paroles en l’air.

Il se leva et vint poser une main sur mon épaule. Son visage changea du tout au tout, et je vis des larmes briller dans ses yeux.

— Dans toute cette affaire, voyez-vous, je songe à cette malheureuse Mrs Inglethorp qui n’est plus. Elle n’a certes pas inspiré beaucoup d’amour. Mais elle a fait preuve d’une très grande bonté envers nous autres, Belges, et je me sens une dette à son égard.

Sans se laisser interrompre, il poursuivit :

— Que je vous dise encore ceci, Hastings : si je laissais arrêter Alfred Inglethorp maintenant – quand un seul mot de moi pourrait le sauver – elle ne me le pardonnerait jamais !

 

La mystérieuse affaire de Styles
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